Les rendez-vous de Philopop

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Les Rendez-vous de Philopop avec Didier Carsin

Ouest Track Radio

Les Rendez-vous de Philopop avec Didier Carsin

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Les Rendez-vous de PHILOPOP : Angoissante liberté

Les Rendez-vous de PHILOPOP, émission du 20 février 2022

Angoissante liberté

Réflexion à partir de la lecture de l'Etre et le Néant de J.P. Sartre (1943).

En quel sens les hommes sont-ils libres ? Comment leur liberté se révèle-t-elle à eux ? Pourquoi ignorent-ils le plus souvent ce qu'elle est et tentent-ils de la fuir?

1- La liberté est « l'être de la réalité humaine »

a- La conscience fait de l'homme un être libre. Elle n'a pas l'être d'une chose, elle est un mouvement qui la porte au dehors d'elle même en ce qu'elle est toujours « conscience de quelque chose ». Elle est ainsi « l'être qui est ce qu'il n'est pas et n'est pas ce qu'il est » (conscience d'un arbre, elle est en même temps cet arbre qu'elle n'est pas et elle n'est pas cet arbre dont elle se distingue).
b- En tant que j'ai conscience de moi, je suis en même temps ce moi dont j'ai conscience et je ne le suis pas. La liberté est cette impossibilité pour l'homme de coïncider avec son être, qui fait qu'il a toujours à être

2- C'est dans l'angoisse que les hommes découvrent le fait irrémédiable de leur liberté

a- L'exemple du vertige : la différence entre la peur et l'angoisse
b- « Je m'angoisse parce que mes conduites ne sont que possibles ». La découverte d'une liberté sans attaches : il ne tient qu'à moi de m'éloigner du précipice ou de m'en approcher : rien ne détermine mon choix.
c- Nous voudrions pouvoir échapper à notre liberté, l'angoisse nous révèle que c'est impossible : « Nous sommes condamnés à être libres ». Nous n'avons pas le choix d'être libres ou non, nous n'avons pas le choix de ne pas choisir.

3- La « mauvaise foi » comme tentative d'échapper à sa liberté et d'être comme une chose

a- Elles est ce mensonge à soi-même qui est rendu possible par le mode d'être de la réalité humaine (sa liberté)
b- Parmi les exemples donnés par Sartre, celui de l'homosexuel qui, honteux d'être homosexuel dans une société homophobe, dénie son homosexualité (il prétend n'être aucunement ce qu'il est et se définit comme ne l'étant pas)
c- Dans l'ordre de l'action, la mauvaise foi se traduit par « l'esprit de sérieux » (exemple de l'antisémite dans les Réflexions sur la question juive, 1946)

4- La liberté en situation

a- Ne pas confondre la liberté ontologique de l'homme qui constitue sa réalité et l'usage qu'il fait de sa liberté « en situation ». La situation qui s'impose à lui ne détermine pas le sens qu'il choisit de lui donner (exemple du rocher)
b- Loin que le passé détermine le présent, c'est le futur (qu'on projette de réaliser) qui décide du sens du passé (l'exemple de la crise mystique de l'âge de 15 ans et celui de la continuation ou de la rupture du lien conjugal)

5-Il y a des situations qui révèlent au plus haut point notre liberté (La République du silence, dans Situations III)

a- « Jamais nous n'avons été plus libres que sous l'occupation allemande (…) A cause de tout cela, nous étions libres »
b- « Il n'y a pas de situation inhumaine ». C'est la conscience qui décide seule de son sens : il est possible que je résiste à la torture pour ne pas trahir mes camarades (« Si on me torture, tiendrai-je le coup? »)

Bibliographie :

- L'Etre et le Néant de J.P. Sartre (1943) chez Tel/ Gallimard, plus particulièrement la 1ère partie chapitre 1 (« l'origine du néant ») et chapitre 2 (« la mauvaise foi »), ainsi que le début de la 4ème partie (« Etre et faire : la liberté »)

- Les Réflexions sur la question juive (le portrait de l'antisémite) 1946, collection Essais en Folio

- https://www.youtube.com/watch?v=Qc0WvffrlIU, archive France Culture « la liberté selon JP Sartre », texte de Sartre lu par lui-même, paru la 1ère fois en 1944 dans Les Lettres françaises et publié ensuite sous le titre « La République du silence » dans Situations III chez Gallimard

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Les Rendez-vous de Philopop : L'état d'urgence : une menace pour la sûreté des citoyens ?

Les Rendez-vous de PHILOPOP- émission du 23 janvier 2022
L'état d'urgence : une menace pour la sûreté des citoyens ?

Réflexion à partir de la lecture de l'Esprit des Lois de Montesquieu (1748),

Etat d'urgence contre le terrorisme (novembre 2015), état d'urgence sanitaire (depuis mars 2020) … L'état d'urgence est en principe un état temporaire qui, pour faire face à un péril imminent, confère des compétences exceptionnelles au pouvoir exécutif et aux autorités administratives, et conduit exceptionnellement à restreindre des libertés. Mais l'inscription au droit commun des mesures d'exception d'abord présentées comme provisoires et la pérennisation de l'état d'urgence ne conduisent-elles pas l'Etat à suivre inexorablement la pente de ce que Montesquieu appelait le « despotisme » ? Jusqu'où l'Etat peut-il aller sans se transformer en instrument d'oppression ?

Pour Montesquieu, le mal à combattre est toujours l'arbitraire, sous quelque forme que ce soit, car il est source de violence et de crainte. Aussi définit-il la liberté politique comme son antidote : elle est « cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté » (XI, 6). Comment l'établir et la maintenir ? Comment instituer l'Etat si l'on veut qu'il protège la liberté politique et ne puisse tomber dans « l'abus de pouvoir » ? Nous allons suivre la démarche de Montesquieu dans les Livres XI et XII de L'Esprit des Lois.

1- L'institution de l'Etat est nécessaire pour établir la liberté et mettre un terme à l'arbitraire et à la violence auxquels les hommes seraient livrés s'il ne réglait pas leur coexistence par des lois (Montesquieu ne distingue pas Etat et gouvernement). Au comble de l'arbitraire, il y a le gouvernement despotique où « un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices » (II, 1). A ce gouvernement s'opposent les « gouvernements modérés » qui sont réglés par des lois (nous les appelons aujourd'hui Etats de droit)

2- Il faut que dans ces Etats une constitution distribue les pouvoirs dans des mains distinctes pour assurer vraiment les conditions de la liberté politique.

a- Le despotisme ne désigne pas seulement le gouvernement despotique, il est aussi une menace qui pèse sur les gouvernements modérés quand il y a « abus de pouvoir ». Pour éviter ce mal, la solution est de le diviser et « d'arrêter le pouvoir par le pouvoir » par une constitution qui distribue les pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) dans des organes distincts

b- L'exemple de la Constitution d'Angleterre permet d'étudier les conditions de la liberté politique: 1- on y trouve un équilibre des pouvoirs législatif et exécutif par leur liaison et leur enchaînement (ils ne sont pas séparés, sinon ils ne pourraient pas se faire contrepoids) ; 2- on y trouve un partage du pouvoir législatif entre des forces sociales et politiques aux intérêts opposés (les nobles et le peuple) ; 3- le seul pouvoir qui est séparé des deux autres, est le pouvoir judiciaire (indépendance de la justice).

3- Il faut encore que cesse l'arbitraire qui affecte les lois pénales (« les lois criminelles ») : « C'est de la bonté des lois criminelles que dépend principalement la liberté du citoyen » (XII, 2). Pour cela :

a- Il faut une procédure rigoureuse d'instruction qui protège l'innocence des citoyens (« Quand l'innocence des citoyens n'est plus assurée, la liberté ne l'est pas non plus »)

b- Le criminel ne doit pas être confondu avec un ennemi : il est d'abord un citoyen dont il faut protéger les droits jusqu'au moment où cette protection cesse, une fois sa culpabilité établie et sa peine prononcée. Celle-ci ne doit pas être confondue avec une « rétention de sûreté » qui consiste à interner préventivement un individu considéré comme « suspect » ou « dangereux » (voir l'évolution sécuritaire du droit pénal contemporain)

c- Il faut une qualification précise des crimes et une classification qui assure une juste proportion entre les crimes et les peines (la criminalisation des opinions et des actions  « qui choquent la religion », les blasphèmes, entraîne une violence sans limite et « détruit la liberté des citoyens ») et encore un usage modéré des peines qui tienne compte des limites naturelles de la sensibilité humaine  (la surenchère répressive ne fait pas reculer la criminalité).

Conclusion : La pérennisation de l'état d'urgence risque de transformer l'Etat de droit en Etat sécuritaire qui restreint et menace la liberté des citoyens. Sans des lois qui préservent les citoyens aussi bien de l'arbitraire des autres que de celui de l'Etat, la liberté ne peut être protégée. Elle est inséparable de la sûreté.

Bibliographie :

De l' Esprit des Lois de Montesquieu, surtout les livres XI et XII (1748)
Montesquieu, les lois et les mœurs, par Didier Carsin, collection « Philosophie en cours » chez Démopolis (2017)
Libertés et sûreté dans un monde dangereux par Mireille Delmas-Marty au Seuil (2010)
Penser l'ennemi, affronter l'exception, par J.C. Monod, édition La Découverte/poche (2016)
La Démocratie en état d'urgence par Stéphanie Hennette-Vauchez au Seuil (2022)

Pauses musicales :
J.S. BACH, CONCERTO NO.5 IN F-MINOR FOR HARPSICHORD AND STRINGS (BWV 1056) - LARGO, MARIA JOÃO PIRES
Fauré: Pavane / Rattle · Berliner Philharmoniker
Johann Sebastian BACH: Adagio, BWV 974

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Les Rendez-vous de Philopop : Que signifie "être français"?

Les Rendez-vous de PHILOPOP, émission du 19 décembre 2021

Que signifie : «être français»?

L'identité nationale est-elle essentiellement une affaire d'origine? La nation est-elle une «mère»?

Notre réflexion s'appuiera sur la lecture de la conférence d'Ernest Renan, prononcée à la Sorbonne en 1882, Qu'est-ce qu'une nation? Cette conférence fait souvent référence.

1- Le contexte historique: l'annexion à l'Allemagne de l'Alsace et de la Moselle en 1871

  • La discussion entre Renan et l'historien allemand David Strauss
  • Si l'identité nationale est une affaire d'origine, D. Strauss a raison: l'Alsace et la Moselle sont allemandes

2- La méthode de la conférence: examiner les différents critères qui sont proposés de la nation afin d'établir celui qui est légitime

- La nation n'est ni une race, ni une ethnie, ni une langue, ni une culture

  • Définir l'identité nationale en termes d'origine culturelle, c'est enfermer les hommes dans une identité particulière figée et nier leur dimension universelle : « N'abandonnons pas ce principe fondamental, que l'homme est un être raisonnable et moral, avant d'être parqué dans telle ou telle langue, avant d'être membre de telle ou telle race, un adhérent de telle ou telle culture »
  • La nation n'est rien sans la volonté des hommes. Sa définition légitime : «La nation est un principe spirituel (…) L'existence d'une nation est un plébiscite de tous les jours».

3 – La nation «est un plébiscite de tous les jours» fondé sur une mémoire commune

  • Elle n'est pas une pure construction de la volonté : les hommes ne peuvent vouloir continuer de vivre en nation sans la mémoire d'un passé commun
  • Il faut distinguer la question des origines de la nation de celle de son principe (qui est pour la 1ère fois affirmé par la Révolution française de 1789)
  • La mémoire sur laquelle est fondée la nation, est une mémoire affective, nécessairement sélective et oublieuse, qui permet de préserver son existence

4- Examen critique de la thèse de Renan: si la nation a besoin d'être portée par une mémoire commune, l'histoire est-elle pour elle une menace, en tant que discipline critique?

  • Les nations sont des constructions historiques dont l'unification s'est faite le plus souvent au prix de conflits violents (par exemple, la croisade des Albigeois aux XII et XIII èmes siècles, les guerres de religion au XVI ème siècle en France)
  • Pour préserver leur existence, faut-il bannir les études historiques qui impliquent un regard critique à l'égard de la mémoire des hommes? L'adhésion à la nation exige-t- elle une forme d'idéalisation du passé qui repose sur l'oubli de ses pages noires?
  • Un exemple d'occultation du passé : le «mythe résistancialiste » selon lequel la grande majorité des Français avaient combattu l'occupant nazi pendant la seconde guerre mondiale (Henry Rousso, dans le Syndrome de Vichy)
  • Une nation qui n'assume pas son passé a-t-elle un avenir?

Bibliographie :

Qu'est-ce qu'une nation ?, par Ernest Renan, collection Champs/Flammarion

Le syndrome de Vichy, par Henry Rousso, Editions Seuil

Vichy, un passé qui ne passe pas, par Henry Rousso et Eric Conan, Collection Folio

Cette émission a été donnée sous un autre titre (La nation est-elle une «mère»?) le 28 juin 2020 sur Radio Ouest track.

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Les Rendez-vous de Philopop : L'antisémitisme

Nous aborderons la lecture des Réflexions sur la question juive de Sartre. Quand le texte paraît en 1946, Sartre n'a pu mesurer l'ampleur du génocide des Juifs dans les camps de la mort. Mais même si son propos se limite à ce qu'il a pu observer de la situation des Juifs en France avant la guerre et sous l'occupation, il est très utile pour comprendre le phénomène de l'antisémitisme et réfléchir aux moyens de le combattre.

1- La formulation du problème : comment aborder la « question juive » ? (chapitre 2)

Comme en témoigne la politique du gouvernement Pétain, qui promulgua un « statut des Juifs » et institua un « commissariat général aux questions juives », c'est l'antisémitisme qui est à l'origine de la « question ».

a- Suffit-il de proclamer l'universalité des hommes, leur égalité de droits, pour protéger les Juifs de la haine des antisémites ? « Les Juifs ont un ami pourtant : le démocrate. Mais c'est un piètre défenseur » (…) « L'antisémite veut détruire le Juif comme homme pour ne laisser subsister en lui que le Juif, le paria, l'intouchable ; le démocrate veut le détruire comme Juif pour ne conserver en lui que l'homme »

b- Une universalité qui comprend toutes les différences humaines ne peut se concevoir en termes de « nature humaine » mais de « condition humaine ». Comment dès lors aborder la différence des Juifs : en quoi consiste leur « situation commune » et comment l'expliquer ?

2- Les caractéristiques de l'antisémitisme : le portrait de l'antisémite (chapitre 1)

a- Il se présente comme une opinion alors qu'il est en réalité une passion. Ses faux arguments.

b- La passion antisémite est une peur de la liberté ; elle est « une nostalgie de l'imperméabilité »

c- L'antisémitisme est un irrationalisme : il est une haine de l'intelligence qui oppose à l'abstraction l'enracinement du « vrai » Français

d- Il est fondé sur le ressentiment : l'antisémite a besoin de nier le Juif pour se sentir exister

e- C'est un manichéisme : il interprète l'Histoire comme le combat purificateur du Bien contre le Mal incarné selon lui par le Juif

3- Qu'en est-il du Juif que l'antisémite veut détruire ? «  Le Juif existe-t-il ? Et, s'il existe, qu'est-il » ? (chapitres 3 et 4)

a- En quoi consiste l'identité juive ? Si elle ne s'explique pas par la « race » (comme l'explique l'antisémite), vient-elle de la religion, ou d'une histoire commune ?

b- Réponse de Sartre : « Le Juif se définit comme celui que les nations ne veulent pas assimiler(...) Le Juif est un homme que les autres tiennent pour Juif »

. c- Face à une situation imposée historiquement par l'antisémitisme, les Juifs sont condamnés à un dilemme : choisir l'inauthenticité (fuir la situation, jouer à n'être pas Juif, chercher à tout prix « l'assimilation »), ou choisir l'authenticité (assumer sa spécificité juive : ses traditions, sa religion... « s'intégrer à la nation en tant que Juifs », et ce propos concerne « aussi bien les Arabes que les Noirs dès lors qu'ils sont solidaires de l'entreprise nationale  et ont droit de regard sur cette entreprise, comme citoyens»)

Conclusion : H. Arendt jugera sévèrement la thèse de Sartre sur l'identité juive, mais elle le rejoindra dans la critique qu'il fait d'un universalisme qui s'en tient abstraitement à la proclamation des droits de l'homme (c'est celui du « démocrate »). Le véritable universalisme exige de lutter concrètement contre les discriminations que subissent aussi bien les Juifs que tous ceux qui en France en 1946 se trouvent opprimés : les Arabes, les Noirs, les femmes. Sartre plaide ainsi en conclusion pour un « libéralisme concret»

Bibliographie

Réflexions sur la question juive, de Sartre, collection Folio, 1946

L'Etre et le Néant, 3ème partie : « Le pour-autrui », de Sartre, collection Tel chez Gallimard

Sur l'antisémitisme de H. Arendt, collection Essais chez Calmann-Lévy, 1951

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Les Rendez-vous de Philopop : Quand l'obéissance devient monstrueuse

Les Rendez-vous de PHILOPOP- émission du 31 octobre 2021

Quand l'obéissance devient monstrueuse

Réflexion sur la « banalité du mal » à partir de la lecture de Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal, de Hannah Arendt (1963, collection Folio) et de Nous, fils d'Eichmann, de Günther Anders (1964 et 1988, collection Rivages)

L'expérience du XXème siècle (guerres mondiales, régimes totalitaires, génocides) nous conduit à conclure comme l'historien américain Howard Zinn (discours à l'Université de Baltimore en 1970) que « notre » problème c'est l'obéissance et non pas, comme on le pense habituellement, la désobéissance.

L'exemple d' Eichmann, l'organisateur de la Solution finale, est souvent invoqué pour montrer comment l'obéissance peut devenir monstrueuse. Hannah Arendt parle à son propos de la « banalité du mal ». Mais, comme l'affirment aujourd'hui de nombreux historiens, Hannah Arendt ne s'est-elle pas égarée en voyant en Eichmann un bureaucrate insignifiant qui obéissait aveuglément aux ordres de sa hiérarchie ? Par « banalité du mal », n'entend-elle pas une forme d'obéissance bornée qui reviendrait en définitive à déresponsabiliser Eichmann ?

Quels sont les vrais ressorts de l'obéissance monstrueuse qui a fait tant de ravages dans notre monde contemporain ?

La lecture de l'Essai d'Hannah Arendt nous montrera que les critiques qui lui sont souvent adressées, ne tiennent pas vraiment compte de sa démonstration. L'expression de « banalité du mal » est trop souvent soumise à des contre-sens. Ces critiques correspondent en revanche beaucoup mieux aux textes que Günther Anders a consacrés lui même au cas Eichmann. Il sera ainsi très intéressant de comparer les œuvres et de les confronter.

1- Lecture d'Eichmann à Jérusalem : l'obéissance d'Eichmann était-elle une « obéissance quasi robotique » (selon la formule de l'historien David Cesarani) ?

a- Une obéissance particulièrement zélée : 1- la bureaucratie en régime nazi ; 2- Eichmann est un gestionnaire performant (son activité à Vienne en 1938)

b- Eichmann revendiquait la moralité de ses actions : 1- la citation qu'il fait de « l'impératif catégorique » de Kant et sa déformation ; 2- il était capable de désobéir aux ordres quand ils contredisaient la loi (c'est à dire la volonté du Führer), il désobéit ainsi en 1944 à Himmler

c- Comment s'opère en un homme normal comme Eichmann la perversion de la loi qui exige de lui qu'il considère l'extermination des Juifs comme un devoir : 1- la perversion de la loi (« La loi du pays d'Hitler exigeait que la voix de la conscience dise à chacun : Tu tueras) ; 2- les procédés mis en œuvre par les nazis pour anesthésier la conscience morale ordinaire (les « règles de langage »)

d- L' « absence de pensée » de Eichmann constitutive de la banalité du mal : ni stupidité, ni obéissance robotique, mais choix de ne plus juger, de ne plus avoir à penser aux conséquences de ses actes (exemple de l'épisode de sa conversation avec le capitaine Less)

2- Lecture de Nous, les fils d'Eichmann : Eichmann, exécutant robotique d'un système technique monstrueux

a- La puissance de déshumanisation de la technique moderne menace de monstruosité notre monde contemporain

b- les « deux racines du monstrueux » : la fragmentation technique des tâches a pour effet d'anesthésier moralement les individus (exemple d'Eichmann comme illustration) ; un monde en passe de « devenir machine » et de transformer les hommes en rouages

Conclusion : Deux interprétations différentes du cas Eichmann, deux analyses quasi-opposées des ressorts de l'obéissance monstrueuse qui ravage le monde contemporain (un engagement zélé, monstrueux, où prévaut l'adhésion à l'idée totalitaire, d'un côté ; un système monstrueux de l'autre qui tend à fabriquer des hommes indifférents, bornés à des préoccupations techniques).

Bibliographie : outre les deux œuvres citées,

- Désobéir par Frédéric Gros chez Albin Michel

- Adolf Eichmann, comment un homme ordinaire devient un meurtrier de masse, par David Cesarini, collection Texto, chez Tallandier

- La révolution culturelle nazie, par Johann Chapoutot, Editions Gallimard

Cette émission reprend en partie une conférence donnée à l'Université populaire du Havre :

https://www.franceculture.fr/conferences/universite-le-havre-normandie/eichmann-mediocre-criminel-de-bureau-ou-monstre