Réflexion sur les causes et les effets des conflits religieux
Confronté à la violence des guerres de religion qui opposent à son époque catholiques et protestants, Montaigne (1533-1592) abandonne toute perspective théologique axée sur la question des dogmes pour considérer seulement la religion dans ses effets pratiques. Plutôt que de chercher la vraie religion, il examine les effets de la religion sur le terrain politique.
1-La perspective traditionnelle sur la religion jusqu'à Montaigne : la justification de l’intolérance et de la persécution au nom de la vérité
-La contrainte est nécessaire et légitime pour remettre les croyants égarés (les «hérétiques ») dans le droit chemin (Saint-Augustin (354-430): « il y a une persécution juste »)
-Il faut distinguer deux sortes d'«infidèles», selon Thomas d'Aquin (1224-1274) : ceux qui n'ont jamais reçu la foi chrétienne (« Les Juifs et des païens»), et ceux qui l'ont reçue mais ont décidé de s'en écarter et s'obstinent dans l'erreur (les hérétiques). La tolérance à l'égard de ces derniers est une faiblesse coupable; elle est seulement requise dans le cas des premiers car ils sont moins dangereux (elle est alors une règle de prudence).
2- La tolérance religieuse comme politique pour établir la paix civile
a- Les deux sens du terme de tolérance:
• un sens premier, toujours présent, où tolérer, c’est accepter ce qui ne devrait pas être. C'est le sens utilisé par Montaigne : l'autorité politique tolère le culte protestant en promulguant un «édit de tolérance» ;
• un sens moderne, où tolérer, c’est consentir qu’au nom de la liberté, en principe reconnue à tous, d’autres hommes expriment des croyances ou des opinions avec lesquelles nous sommes en désaccord. Ce sens ne peut pas encore être conçu au XVI ème siècle.
b- La crise qui affecte l'Europe au XVI ème siècle avec le développement de la Réforme. Les circonstances de la rédaction de l'Essai sur la liberté de conscience , rédigé en 1578 (2 ans après la promulgation de l'édit de Beaulieu en 1576, 4 ans après les massacres de la Saint Barthélémy)
c- Lecture de l'Essai sur la liberté de conscience (II, 19)
• l'intolérance des Chrétiens qui commettent des «actes très condamnables»
• le portrait de l'empereur romain Julien surnommé «l'Apostat » par les Chrétiens: un modèle moral (les vertus exemplaires de Julien); l'accusation injuste d'apostasie à son égard alors qu'il était contraint de dissimuler sa religion païenne dans sa jeunesse; un modèle d'homme politique
• le modèle de Julien permet de formuler la question de l'efficacité politique de la tolérance religieuse
3- La véritable nature des conflits religieux
a- la distinction entre la foi («infusion extra-ordinaire» qui vient de Dieu, et n'est connue que par une minorité d'hommes exceptionnels incapables de nuire aux autres) et la croyance religieuse ordinaire (l'homme tient à Dieu par des moyens seulement humains; cette croyance repose sur le hasard et la coutume)
b- la majorité des chrétiens «se font croire» qu'ils croient; or ils n'ont pas la foi sinon ils la manifesteraient par leur conduite
c- les motivations passionnelles qui sont à la source des croyances religieuses
Conclusion: si l'on sait que les conflits religieux sont l'expression de conflits d'intérêts, d'ambitions sociales et politiques transférés au champ religieux, il est non seulement possible d'agir sur leurs effets mais aussi sur leurs causes.
Lectures conseillées:
Essai sur la liberté de conscience de Montaigne, Livre II chapitre 19, traduction Lanly dans la collection Quarto/Gallimard,
Le début de l'Apologie de Raymond Sebon, Livre II chapitre 12 des Essais
Sur la question de la Tolérance, vous pouvez écouter les séances enregistrées en 2015 (accompagnées de leur plan), accessibles sur le site de PHILOPOP: