Les Rendez vous de PHILOPOP, émission du 13 mars 2022
La guerre est-elle vraiment la continuation de la politique par d'autres moyens ?
Réflexion à partir de la lecture du traité de Clausewitz (1780- 1831),« De la guerre »
Le 24 février 2022, Vladimir Poutine décide d'envahir l'Ukraine et menace de faire usage de l'arme nucléaire si on l'empêche d'arriver à ses fins.
Si, comme l'explique Clausewitz, la guerre est un moyen pour la politique d'atteindre ses fins quand tous les autres ont échoué, est-elle encore un moyen de continuer la politique si, livrée à sa propre dynamique qui la porte vers une violence illimitée, elle débouche sur l'utilisation de l'arme nucléaire ? La célèbre définition de Clausewitz (« la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens ») est-elle toujours valable ?
Pour répondre à ce problème, nous suivrons d'abord l'analyse de Clausewitz.
Clausewitz ne s'interroge pas sur la signification anthropologique de la guerre (résulte-t-elle d'un penchant humain?), il n'en discute pas la légitimité (y a-t-il des guerres justes?), il ne porte pas sur elle un jugement moral. La guerre est à ses yeux un fait dont il faut comprendre la nature et découvrir les lois. Cette étude exige qu'on cesse de la considérer simplement comme un phénomène irrationnel, le déchaînement aveugle d'une violence collective.
1- La guerre apparaît ordinairement comme un phénomène irrationnel pour trois raisons :
a- Elle témoigne de l'existence d'un penchant humain à l'agression et à la destruction (Freud : Propos d'actualité sur la guerre et la mort (1915), Pourquoi la guerre ? (correspondance avec Einstein, 1932)
b- En tant qu'elle est l'expression arbitraire du droit du plus fort, elle est injustifiable juridiquement (violation du droit)
c- En tant qu'elle est dans son principe la négation du genre humain, elle est injustifiable moralement (Kant, conclusion de la Doctrine du droit)
2- La volonté de faire la guerre n'est pas simplement l'expression d'un penchant naturel à l'agression
a-Elle a une rationalité : c'est une force organisée, une violence contrôlée et dirigée
b- Faire la guerre, ce n'est pas simplement tuer et se faire tuer, c'est être prêt à mourir pour tuer un ennemi (Alain : « Il faut des maximes qui tuent », § 90 de Mars ou la guerre jugée)
c- La logique interactive de la guerre (elle est comme un « duel ») empêche qu'on la réduise à l'expression d'une agressivité naturelle (De la guerre I, 1 et VI, 7, Clausewitz)
3- La guerre tend par elle-même à « monter aux extrêmes » (De la guerre, I, 2 et 3,Clausewitz)
a- Le « concept pur » de la guerre : la dynamique constitutive de la guerre comme montée aux extrêmes
b- Du concept pur de la guerre à la réalité des guerres : les raisons pour lesquelles elles ne montent pas aux extrêmes
4- « La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens » (VIII, 6)
Conclusion : la guerre ne rompt pas avec la politique et par bien des aspects elle lui ressemble, mais en même temps, elle risque de lui échapper car elle est une violence potentiellement illimitée. Qu'en est-il alors du risque que constitue l'usage de l'arme nucléaire ? La guerre est-elle vraiment la continuation de la politique par d'autres moyens ?
Bibliographie :
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De la guerre, surtout les Livres I et VIII, Clausewitz
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Penser la guerre, Raymond Aron
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En rapport avec le thème de la guerre et de la paix, voir le podcast de l'émission des Rendez-vous de Philopop : « La mondialisation est-elle un doux commerce ? »