Réflexion à partir de deux textes de Freud consacrés à la question de la guerre: Propos d'actualité sur la guerre et sur la mort (1915), collection G/F, et Pourquoi la guerre ?, correspondance Einstein/Freud (1932), collection Rivages poche. La guerre d'Ukraine nous a déjà conduit à réfléchir sur la guerre, à partir de l'oeuvre de Clausewitz, « De la guerre», mais dans une toute autre perspective.
La 1ere guerre mondiale a engendré un profond désarroi : jamais les hommes des nations dites «civilisées», ne pouvaient imaginer au début du XXème siècle qu'ils connaîtraient un tel déchaînement de violence. La cause de ce désarroi, ce sont les «désillusions» concernant le processus de civilisation que Freud se propose de «traiter»
Pourquoi a-t-on eu besoin de croire que la civilisation élève progressivement à la moralité ? En quoi est-ce là une «illusion» que la 1ère guerre mondiale vient «fracasser»?
1- Pourquoi l'idée d'un progrès moral de la civilisation est-elle illusoire ?
a- L'exposé des idéaux de l'homme «civilisé»: le processus de civilisation entraînerait un progrès de la moralité (à tous les niveaux, individus, peuples, Etats), qui rend inconcevable une guerre comme la 1ere guerre mondiale (c'est à dire une guerre qui «interrompt le développement des relations morales entre les peuples et les Etats »)
b- Comment expliquer que cette guerre ait pu engendrer un tel déchaînement de violence?
La guerre pervertit l'Etat. Alors qu'il est censé fonder son existence sur des règles de justice qu'il impose aux hommes placés sous son autorité, il s'en affranchit totalement en temps de guerre («si l'Etat interdit à l'individu l'usage de l'injustice, ce n'est pas parce qu'il veut l'éliminer, mais parce que, au même titre que le sel et le tabac, il veut la monopoliser»). Le cynisme de l'Etat entraîne alors « un relâchement de toutes les relations morales» qui révèle leur grande fragilité.
c- Comment l'homme devient-il capable de moralité ?
L'homme n'est ni bon ni mauvais en soi (sont «mauvaises» les pulsions incompatibles «avec les exigences de la communauté humaine»); l'éducation peut transformer de manière assez limitée ses pulsions mauvaises en pulsions sociales mais ne peut jamais complètement les éradiquer; ainsi, « il y a bien plus d'hypocrites civilisés que d'hommes vraiment civilisés».
Notre désillusion concernant la valeur de la civilisation est-elle vraiment justifiée? «En réalité, les hommes ne sont pas tombés aussi bas que nous le craignions, pour la bonne raison qu'ils ne s'étaient pas élevés aussi haut que nous nous l'étions figuré»
2- Si la guerre s'explique par des pulsions destructrices, est-elle pour autant une fatalité? (Pourquoi la guerre? Correspondance de Freud avec Einstein, 1932)
a- La 1ere partie de la réponse de Freud : une reprise de la réflexion du philosophe Kant sur la guerre et la paix : 1- le droit comme «violence de la communauté»; 2- l'histoire achemine les Etats paradoxalement par le moyen de la guerre, vers la paix perpétuelle; 3- la solution d'une Société des Nations qui aurait le pouvoir d'imposer ses arbitrages aux Etats et de mettre ainsi un terme à la guerre
b- La 2ème partie de la réponse est constituée par l'apport de la psychanalyse à la réflexion :
1- la paix est irréalisable parce que la guerre est l'expression de la vie pulsionnelle des hommes (elle met en œuvre la pulsion de destruction à l'échelle collective, pulsion qui est dérivée de la pulsion de mort );
2- le désir de paix qui s'oppose à cette pulsion, est soutenu par la pulsion de vie (Eros) qui s'exprime par la production de «liens de sentiment » (« Si la propension à la guerre est un produit de la pulsion destructrice, il y a donc lieu de faire appel à l'adversaire de ce penchant, à l'Eros. Tout ce qui engendre, parmi les hommes, des liens de sentiment doit réagir contre la guerre»).